Mohamed(saw) selon Maxime Radinson
Un tollé dans les pays musulmans à cause des 12 caricatures de Mohamed publiées par certains journaux européens; je voudrai pas entrer en polémique, les esprits sont suffisamment chauffés, entre un camp qui invoque la liberté d’expression (à discuter) et l’autre camp qui appelle au respect des croyances et des convictions, l'heure maintenant est pour l'apaisement, le calme et le débat raisonnable et fructueux.
Je vous ai apporté un récit de Maxime Rodinson ,un texte ou il décrit la personnalité du prophète de l'islam,loin des « prêt à-penser ».
« Tandis que la Chrétienté voyait en lui (Mahomet) l’archi-ennemi, malfaisant et lubrique, tandis que l’Islam célébrait en lui « la meilleure des créatures », des hommes venaient qui, concevant mal la foi religieuse et surtout cette foi-là, cherchaient à retrouver en lui un homme pensant et agissant sur le même plan qu’eux. Le Comte de Boulainvilliers, au début du XVIIIe siècle, célébrait en lui un libre penseur qui créa une religion raisonnable. Voltaire, pour attaquer le christianisme, en fait un cynique imposteur, menant pourtant à l’aide de fables son peuple à la conquête de la gloire. Tout le siècle voit en lui le prédicateur de la religion naturelle et rationnelle, bien éloignée de la Folie de la Croix. Les Académies le célèbrent. Gœthe lui consacre un magnifique poème où, type même de l’homme de génie, il est comparé à un fleuve puissant. Les fleuves et les ruisseaux, ses frères, crient vers lui, demandent son aide pour les amener vers l’Océan qui les attend. Irrésistible, triomphant, majestueux, il les entraîne.
Und so trägt er seine Brüder,
Seine Schätz, seine Kinder
Dem erwartenden Erzeuger
Freudebrausend an das Herz.
Carlyle place parmi les héros de l’humanité cette grande âme en laquelle il reconnaît quelque chose de divin. Puis les savants viennent, vont aux sources, reconstruisent sa biographie d’après les historiens arabes de plus en plus profondément scrutés. A la fin du XIXe siècle, l’arabisant Hubert Grimme voit en lui un socialiste qui a imposé une réforme fiscale et sociale à l’aide d’une « mythologie », très réduite d’ailleurs, délibérément inventée pour effrayer les riches et emporter leur adhésion. Tandis que la plupart des orientalistes essayent de nuancer leur jugement et mettent au premier plan sa ferveur religieuse, haineusement le jésuite belge Henri Lammens, grand connaisseur des sources, nie encore sa sincérité. Les savants soviétiques discutent s’il fut réactionnaire ou progressiste. Les nationalistes, les socialistes, les communistes mêmes des pays musulmans s’en réclament comme d’un précurseur.
Ainsi chacun a cherché en lui le reflet de ses inquiétudes et de ses problèmes ou de ceux de son siècle, chacun l’a amputé de ce qu’il ne comprenait pas, chacun l’a modelé selon ses passions, ses idées ou ses phantasmes. Je ne prétends pas avoir échappé à cette loi. Mais, si l’objectivité pure est impossible à atteindre, c’est un sophisme que de poser qu’il faut, en conséquence, être délibérément partial. Cet homme dont la pensée et l’action ont ébranlé le monde, nous savons bien peu de choses certaines sur lui. Mais, comme pour Jésus, à travers récits suspects et traditions boiteuses, on peut percevoir quelque chose qui est le reflet d’une personnalité singulière, étonnante pour les hommes ordinaires qui se réunirent autour d’elle. C’est ce reflet tel que j’ai cru l’apercevoir que j’ai essayé de fixer dans ce livre. Ce n’est pas une image simple. Ni le monstre satanique des uns, ni la « meilleure des créatures » des autres, ni le froid imposteur, ni, le théoricien politique, ni le mystique exclusivement épris de Dieu. Si nous le comprenons bien, Mohammad était un homme complexe, contradictoire. Il aimait le plaisir et se livrait à l’ascèse, il fut souvent compatissant et quelquefois cruel. C’était un Croyant dévoré d’amour et de crainte pour son Dieu et un politique prêt à tous les compromis. Doué de peu d’éloquence dans la vie ordinaire, son inconscient pendant une courte période fabriqua des textes d’une poésie déconcertante. Il fut calme et nerveux, courageux et craintif, plein de duplicité et de franchise, oublieux des offenses et atrocement vindicatif, orgueilleux et modeste, chaste et voluptueux, intelligent et, sur certains points, étrangement borné. Mais il y avait en lui une force qui, avec l’aide des circonstances, devait en faire un des quelques hommes qui ont bouleversé le monde.
Faut-il s’étonner de ces complexités et de ces contradictions, de ces faiblesses et de cette force ? Après tout c’était un homme d’entre les hommes, soumis à nos défaillances, disposant de nos pouvoirs, Mohammad ibn ’Abdallâh de la tribu de Qoraysh, notre frère.